LES YEUX D'ANNA

De Luc Tartar

Texte Luc Tartar Mise en scène : Cécile Tournesol L'art mobile 2019

Mise en scène   Cécile Tournesol Scénographie   Bruno Collet    Vidéo/Images   Fred Bures Jean-Thierry Debord & Hadrien Majorel   

Régie générale & Lumières  Patrice Le Cadre       Musique   Aldo Gilbert Costumes  Philippe Varache       Assistant à la mise en scène  Roman Sitruk 

Distribution : Louka Meliava Théo Askolovitch Cécile Metrich Julien Muller  Cécile Tournesol

Diffusion Marcos Cortés-Londono Administration Didier Masse

Presse Francesca Magni Affiche AGAME Photos Fabienne Rappeneau

Copyright L’art mobile

Avec Dans les yeux d’Anna, de Luc Tartar, Cécile Tournesol propose une mise en scène subtile pour dénoncer le rejet de l’autre et les obscurantismes. Chez les jeunes, mais pas seulement. Brillant et poétique. 

Anna ? On ne la verra jamais. Son crime ? N’être pas tout à fait comme « tout le monde ». Jeune fille surdouée, avec les yeux « vairons » c’est à dire de couleur différente, elle ne baisse pas le regard devant les autres, ceux qui taguent « sorcière, du balais » sur le mur du pavillon familial, ceux qui, garçons et filles, la mettent nue dans la cour du lycée, pour l’humilier. Mais elle se replie dans ses pensées, s’enferme dans sa chambre… en dépit de la bonne volonté de ses parents, qui veulent forcément lui venir en aide, mais dépassés aux même par les déboires de l’existence.

De cet univers angoissant, Cécile Tournesol a tiré une mise en scène qui cerne le propos, comme avec des tessons de verre, qui sert à merveille la minutie et la poésie du texte, tout en soulignant l’humour foisonnant de l’aventure. Sans lequel les Yeux d’Anna seraient difficiles à regarder en face pour un jeune public auquel le spectacle est accessible dès 12 ans. Accessible et recommandé, peut-on dire, tant il est question ici de liberté d’être, d’acceptation de la différence, qu’elle soit liée à l’orientation sexuelle ou toute autre, de la dénonciation des obscurantismes.

L’auteur, Luc Tartar a écrit cette pièce en 2008, « à la suite d’une horrible succession de faits divers qui bouleversent les âmes et les consciences », dit-il, citant « la jeune Sohane, brûlée vive dans le local à poubelles de son immeuble (…) Souad, que sa famille a décidé de tuer parce qu’elle est enceinte (…) Ces jeunes filles d’origine indienne aux visages ravagés par l’acide que leur lancent à la figure, mari, père, frère… ». En dix ans, la pièce a été traduite en plusieurs langues, jouée dans de nombreux pays, et pose toujours la question : « qui sont les sorcières d’aujourd’hui ? »

Ne pas baisser les yeux

Le décor fait principalement d’un gros pouf beige en guise de canapé, de grandes portes translucides qui s’ouvrent et se ferment, et de projections particulièrement réussies (dues à Fred Bures, Jean-Thierry Débord, Hadrien Majorel) laisse aux comédiens la charge d’occuper tout l’espace, physique et mental. Ils s’y emploient remarquablement. Cécile Tournesol est une Barbara victime de l’univers impitoyable de l’entreprise chargée de licencier le père, Jean Tombe (parfait Julien Muller), dont elle fut la protégée et presque l’amie. Sous les yeux de Monique l’épouse a bout de patience (Cécile Métrich) avec le copain Rachid (Tigran Mekhitarian en alternance avec Théo Askolovitch) et Louka Meliava remarquable lui aussi dans le double rôle de Clémentin le voyou endoctriné qui refuse qu’une fille ne baisse pas les yeux devant lui, et de Walter garçon trouble et troublant dans sa robe de lamé doré.

« Dans le théâtre de Luc Tartar, dit encore Cécile Tournesol, « il y a de l’espièglerie et de la férocité, le tendre côtoie le rugueux, le réel le fantasme… La mort est dans la vie. Je m’y sens chez moi. » Sur le plateau, l’ensemble s’articule comme dans un puzzle. Il y est question non pas de supporter, d’excuser, mais de se comprendre. De vivre dans le respect de chacun, de prendre le parti d’une société humaine. Sans discours larmoyant ou faussement généreux. Bravo.